vendredi 14 février 2014

SCC2/8 - Je ne brasille pas, je n'irradie pas, je régresse, je rétrécis...

Essayons de changer de tête et racontons-nous des histoires. Dévions de notre route, trifouillons et tripatouillons un vieux conte qui raconte les tribulations de deux vieux amis, longtemps compère et compagnons de lutte, qui étaient devenus adversaires et concurrents

Le renard tient au corbeau ce langage (en s'appliquant à bien articuler) :
- Cesse de me regarder de haut, Vieux Condor ! Cesse de m’insulter et de me chier sur la gueule ! Attache ton barquette à un pieu d'amarrage et viens me rejoindre au Café de l’Eglise, du Commerce, de la Gare, des Syndicats, des Sports, du Tourisme ou de la Fanfare ! Descends de ton arbre et buvons ensemble le verre de la paix et de la réconciliation ! Viens boire une bière, Vieux Condor, c’est ma tournée ! 

Le corbeau
- Vous ! D'où sortez-vous comme ça ?

sur son arbre perché, la tête et le cou déplumés...
- Je vous reconnais bien ! Je n'oublie jamais personne... Surtout ceux qui m'ont causé le plus grand tort... Même s'ils portent à présent un dentier tout à fait ridicule  !
faisant mine d'étouffer un bâillement d’ennui sous son aile gauche pendante, répond dédaigneusement au renard
- C'est vous ! Je vous reconnais absolument ! C'est bien vous ! Et que me bredouillez-vous donc à présent ? Vous demandez que je vienne vous rendre visite ? A vous ? Au café ? Vous rêvez, Lédenté ! Il  y a bien trop de rats de très mauvais genre dans les cafés que vous fréquentez  ! 
- Meuuunon ! S'il y en avait (Quel con, ce volatile !) (Et il trouve encore le moyen de m’insulter !), tu penses bien que je les aurais déjà croqués, non ? 
Et si vous veniez plutôt me rejoindre à bord de mon arbre, Lédenté ? Il n'y a pas d'âge pour apprendre à grimper aux arbres ! Et mon iroko est de toute sécurité, les rats du quartier ont renoncé à y grimper...

Le renard (qu'on appelle aussi Mapengo ou Lédenté,
 depuis l'accident de circulation qui lui a arraché une partie de la gueule) ne désespère pas... Ata serait-il édenté ! En le droguant à son insu !, d’attraper le corbeau (alias Vieux Condor, alias Kovo, alias Mukokoli, alias Mutu ya Libandi) et de le mettre mijoter, mitonner, bouillir, bouillir, bouillir pendant des heures et des heures dans une grande casserole (jusqu'à ce que les chairs se détachent des os) et de réécrire à sa manière la fin de la fable. Il se permet d’insister et se fait même charmeur :
- Tu as un problème avec les rats, si je comprends bien, Vieux Condor, c'est bien ça ?
- Leur présence me stresse, Lédenté ! Nous, les corbeaux, nous n’aimons pas les rats... Ils n'ont pas de respect, vivent en bande, prennent beaucoup de place, sont impolis et contestent notre autorité ! Ce sont des kuluna ! Et, de plus, ils volent nos œufs et dévorent nos oisillons... 
- Rien à craindre, cher voisin ! Tu ne trouveras jamais de rats dans les cafés que je fréquente ! Et pas non plus chez moi, dans mon terrier ! Ni rats, ni geckos aux ongles crochus et au regard perçant !
- Rien à craindre, vraiment, Lédenté ?
- Vraiment ! Tu peux me faire confiance ! Je me permets donc d'insister, cher voisin et cher lecteur : descends de ton iroko, attache ton bateau à une bite d'amarrage et viens à la maison boire le verre de l’amitié !
- C'est tout ce que tu as à me proposer, Lédenté ? Rien à damer, briffer, becqueter ou picorer ? Pas même du fromage ? 
Aucune charogne à déchiqueter ? 
- Il doit bien me rester quelques lombrics adipeux, Vieux Condor ! Des vers de terre  frais, conservés ^vivants au fond de mon terrier et que je me ferai un plaisir de te servir en amuse-gueule…
- C'est tout ?

- Et aussi quelques cancrelats cérumineux que j’ai mis mariner au fond d’un verre de sodabi ou de lotoko… Viens, tu verras !
- Teee, Lédenté, on ne m'y prendra plus ! Tu es trop malhonnête ! Confiance ezali lisusu te ! Et d'ailleurs... c'est quoi cette sortie de terrier que tu es venue creuser au pied de mon iroko, tu veux me faire tomber ?


Ouais, raté… J’ai essayé de détourner l’attention de Vieux Condor, mon lecteur !,  mais c’est raté, j’ai foiré.  



Ndlr (2016) : Les lectionnaire pressés (ceux qui n'ont vraiment "pas que ça à faire" et qui veulent en savoir plus et connaître la suite et la fin de l'histoire du corbeau et du renard sans devoir se taper huit mois d’attente au Luabongo, les événements sanglants des 19, 20 et 21 janvier 2015, une libération virtuelle de Mopoie et Bangazegino et une gueule de bois carabinée de Vié ba Diamba) peuvent toujours cliquer sur: http://ssc-08.blogspot.be/



Et me voilà donc installé au gîte rural de Nassogne, dans le canton de Djaba, en République d'Awoyo, les yeux, les oreilles et le nez tendus vers la République autocratique du Luabongo...
Bien à l'abri des instrumentistes du général*** et des regards et de la fureur de La Malibran, la diva de la Châtellenie d'Awel, qui veut me changer en pourceau. Et des écoutes, filatures, enquêtes, recherches, soupçons, interpellations et interrogatoires d'un ancien séminariste (ayant fait des études d'imam dans une école biblique du Royaume de Jupiler), devenu agent des « services » de l'ex-Agence Nationale de Documentation et qui, ces derniers temps, s'arrangeait toujours pour croiser mon chemin et me rencontrer inopinément.
- Masta boni ! Ça fait longtemps, fieu ! Tia nga shimbok !
- A qui ai-je l'honneur ? (Nkombo na ye nani ? Nabosani yango !)
- Nga, Papa Nat ! Naaaat ! Obosani nkombo na nga vraiment ? Nat, lokola "Agence Nationale de Documentation" ! Boni ko ?
- Naat, bien sûr ! Nat l'Evêque alias le Belgicain ! Comment pourrais-je t'avoir oublié ?
- Bono ko, fieu ?
- Nazali kaka ! Sango nini, Papa Nat ? (Les « services » ne me laisseront donc jamais tranquille ?)
- Sango te, fieu, sango te, sango te… Oleki na yo ? Oza beta nga cara ? Je crains le piire !
- Teee, Papa  Nat ! Commen je pourrais te nier ?
- Ce n'est pas  grave, fieu ! Ekufeli te ! Kasi...

sur les trottoirs de l'avenue du Commerce, à la nécropole « Entre Ciel et Terre » de la N'Sele, au Bloc de Bandal ou dans les toilettes sans portes qui ferment, ni planches, ni lavabo, ni savon, ni papier de l’ancien Tonton Mbaki, à Yolo-Sud...
J'y suis donc, dans le canton de Djaba, mais depuis mon arrivée à Nassogne, j'ai comme une boule de foufou... enfournée gloutonnement, avalée à sec, sans sauce (graine ou gluante) et restée coincée dans l’œsophage...

Et je n'ai pas non plus de téléphone et je ne suis pas encore connecté à internet et je ne reçois plus aucune nouvelle du Luabongo et je dois faire RIIIR ma femme mariée
 - Va te mettre au soleil, Douchka ! Profites-en ! Rebondis ! Écris ! Bronze ! Prends des couleurs pour moi ! Et essaie d'être drôle !  
Elle a bien raison, ma petite chérie, et je dois bien l'admettre : je ne suis plus drôle, je ne brasille plus, je n'irradie plus, je n'ai plus la pêche. J'ai plein de poils hirsutes qui me sortent des narines, je me suis tailladé les joues en me rasant de loin (par cœur et en faisant trop confiance à ma mémoire) avec un rasoir pour jeunes filles et je dois encore faire RIIIR ma femme mariée !
Et me frotter les gigots au piment d'Espelette pour leur donner un joli teint bronzé (et empêcher le développement de moisissures)…
J'ai honte pour elle d'être affublée d'un mari préféré pareil ! Un débris ! Un patchwork de rustines tout à fait ridicule ! Un animal prothésique coupable de mélancolie hypocondriaque migraineuse et intestinale, auditive et visuelle !

J'y suis donc dans le canton de Djaba... En exil ou en déportation ? En maison de retraite ou en résidence d'auteur ? En institution, en taule ou au musée ? En ermitage ou en embuscade ?
M’y voilà installé pour plusieurs mois et je n'ai plus aucune nouvelle de la République autocratique du Luabongo et de mes amis de l'Unimak. Sans téléphone ni connexion internet. Et même pas en mesure de présenter à ma femme mariée les trois jeunes filles du gîte rural de Nassogne…
- Voici donc Massan l'austère ! (C'est la cheffe, c’est une personne de caractère, elle est ma préférée bien qu'elle ne rigole jamais…)
- Sia !
- Puis vient Aïcha au joli petit cul ! (J’adorerais pouvoir me coller à ses fesses pour faire la file aux arrêts de bus de la Translu ou pour passer en fraude les portiques de la STIB ou de la RATP…)
- Siata !
- Suivie de Vivi « la coiffeuse » sans pratiques mais entièrement disposée à améliorer son employabilité et à élargir ses domaines de compétence ! (Et tout à fait disposée à accueillir favorablement toutes les « propositions malhonnêtes » que pourraient lui faire les clients plus ou moins permanents du gîte…ou que je pourrais lui faire)
- Siatapata ! Tu m'en diras tant ! Kivantard eleki trop ! 


Et lui présenter aussi un ingénieur chimiste
- May I introduce myself : Yoris, enchanté ! 
Yoris avec qui j’ai voyagé en autocar-avion et qui m’a tout de suite avoué être divorcé de sa femme, après trente ans de mariage. Et qui a réussi à se faire servir deux plateaux de nourriture au repas de midi (un plateau viande et un plateau poisson). Et qui travaille depuis près de trois ans dans une usine de la zone franche de Zanguéra.

Yoris et moi étions voisins (rangée 43). Nous avons, à deux… Mais il était le seul à avoir bu ! Et pas pour lui seulement : pour toute la rangée !, presque démoli un siège (43F), arraché quelques fils inutiles et tenté de faire croire à une hôtesse absolument navrée (qui ne comprenait rien à nos récriminations mais répondait en mandarin ou en quechua avec un beau sourire gêné) qu'il y avait un trou dans la rangée de sièges réservée aux personnes refoulées et à leurs accompagnateurs musclés et qu'un bagagiste, sans doute oublié dans les soutes, n'arrêtait pas de déplacer des meubles de la cave au grenier, de se prendre les pieds dans les valises des gens et les cercueils des rapatriés posthumes et de tomber dans l'escalier. Rien, en effet, ne fonctionnait normalement dans cet autocar-avion sans logo ni numéro d'identification, peint tout en blanc comme un  zinc de la CIA opérant en Libye, en Irak ou en Afghanistan, ni l'image, ni le son. Et les passagers désespéraient de se faire entendre et d'obtenir les services habituellement fournis à la clientèle payante d’une compagnie de transport connue : casques pour se protéger des coups de matraques perdus, bouchons d'oreilles pour ne pas entendre les protestations et appels à témoins des déportés qui refusaient de respecter les procédures d'embarquement et les consignes données par leurs garde-chiourmes, n'arrêtaient pas de gueuler leur colère ou de hurler leur désespoir et se rendaient coupables d'agressions verbales... Insupportables! Intolérables !, qui indisposaient les autres voyageurs.
 Il y avait, en effet, un pilote dans un vieil autocar-avion, affrété par Air Tango (alias Tango ya ba Wendo), qui se rendait d’Awel à Expo via Mélo en République d'Awoyo. Et ce pilote s’appelait Yoris.
- Expo dis-tu ? Rappelle-moi, Douchka…
- Expo comme « ex-Poto moyindo », petite chérie ! Soki Expo soki Mboki, lokola 
« Mboka ya ba ndoki »...
- Comment ça ?
- Obosani ke Poto moyindo ekomi mboka ya ba ndoki ? 


J'aurais voulu aussi rappeler ma femme mariée au bon souvenir de deux vieilles connaissances : Roger Atikpati et
- Kudjo, Kudjo, Kudjooooooo !  
Kudjo, l'homme fort, l'homme que Gougoui n'arrête pas d'appeler parce qu'il est toujours ailleurs alors qu'on a constamment besoin de lui ici. Et raconter à ma tomate verte de Valencia (ou à ma pata negra al horno aux saveurs de sous-bois) toutes sortes de choses qui me sont arrivées ou ne me sont pas arrivées depuis mon départ de la châtellenie d’Awel et mon arrivée au canton de Djaba. Et lui faire savoir que rien ne va plus : je ne brasille pas, je n'irradie pas, je régresse, je rétrécis, je décline et je dépéris...

Pour me remonter le moral, je vais donc essayer de me taper un corbeau, le faire descendre de son arbre, l’inviter à venir boire un verre et le croquer vitement.
D’abord, il se laissera faire. Il fera le fier ou le petit malin, il se croira invincible. Comme un cinéphile qui s’imagine protégé par un écran pare-balles. Le corbeau-lecteur se montrera, dans un premier temps, ouvert, tolérant, disponible. Il s'affichera comme résolument moderniste ou « aware » (comme dirait mon auteur awélé-boulanko préféré, Jean-Claude Van Damme). Il aura déjà tout lu, tout vu, tout entendu et se montrera disposé à encore tout lire, tout voir, tout entendre... Jusqu’au moment où ça coincera, jusqu’au moment où ça merdera, jusqu'au moment où ça foirera... et où, bâillonné, les yeux bandés, pris au collet et sentant l'étreinte mortelle du lacet se resserrer autour de son cou, le corbeau-lecteur finira bien par lâcher prise et craquer !
Après le lecteur qui devient personnage voire coauteur, voici le lecteur qui meurt à la fin du buku ! Yahoooooo !


Edingwe, Moto na ngenge (mon auteur-féticheur Luabongais préféré), agitera alors son mouchoir magique et
- A voté ! 
éventera et humiliera son adversaire
- A voté ! 
après lui avoir asséné un coup mortel de sa terrible machette et l'avoir étendu au tapis pour le compte et
- A voté ! 
le contemplera avec dédain tandis qu'il s'enfuira lamentablement, sous les quolibets du public et une grêle de pierres, courant à quatre pattes, se réfugier dans un coin du ring... pour y boire une grande bouteille de Primus au goulot… Fungola masolo !, bien rigoler avec ses potes et se rouler un joint.

Tadam tadaaam ! Batterie, tambours, trompettes et saxophones ! Guitares solos, guitares rythmiques et guitares basses ! Verckys vole comme un papillon et pique comme une abeille ! Franco attaaaque ! Bassines et casseroles, gongs et maracas, bouteilles de Mongonzo, klaxons, sifflets et sonnettes de vélo! Simaro Massiya Lutumba perpétue ! Zaïko Langa Langa, Papa Wemba, Evoloko Joker, Pépé Kallé, King Kester Emeneya, Werrason, JB Mpiana, Ferré Gola, Fally Ipupa et de nouveau Zaïko Langa Langa assurent ou disparaissent ! Cris des atalakus !  Ah tala ku, tala ku mama, zekete zekete ! Course au pouvoir, Mbiri-Mbiri, Kwiti-Kwiti, Nzinzi et Diarrhée verbale ! Vimba Vimba ! Mama Siska ye wana ! Ya Mado !  Djuna Djanana a pris du champ mais Sexion d'Assaut et Maître Gims (alias Gandhi Djuna) sont désormais
- Des fois j'fais des choses que j'contrôle pas !  
passés à l'offensive !
Bousculades à l'entrée et bagarres à la sortie du stade ! Explosion de pralines fourrées à la boule puante et lancer de cacas Molotov ! On va RIIIR ?

Ici, dans un maquis de l’Awoyo, au gîte rural de Nassogne, le bébé de Massan a deux ans et s’appelle Prom.
- Allo coucou, petite chérie ! Hola guapa ! Como estas ? Hola Caracola ! Dois-je demander à Massan, de ta part, pourquoi elle ne sourit jamais, pourquoi elle donne l'impression de toujours tirer la gueule !
- Sia ! Elle n'a peut-être pas de dents, Douchka, comme ton renard de la fable ou comme Iracema, ta copine salvadorienne de La Union…
- Même pas drôle ! Jalousie à bas !
- Siatapata ! N'oublie pas de te couper les poils du nez ! 

C'est un garçon. Il s'appelle Prom… Comme promesse !, m’explique Massan. C'est la grand-mère qui s'occupe du bébé pendant que la maman travaille au gîte. 

Là-bas, en République autocratique du Luabongo, mes amis Mopoie et Bangazegino sont toujours embastillés à l’Université de Makala.
Et déjà, au loin, ma femme mariée s’impatiente : « J'attends toujours de RIIIR » !

Voilà donc comment mon affaire se présente : réfugié à Djaba, bien logé et bien nourri… je me sens parti pour une très longue déprime...






Ndlr : Vous êtes perdu(e)s ?
Et vous vous demandez où trouver un plan de la ville, un menu de la semaine ou une table des matières quelconque… et comment avoir accès à chacune des différentes séries de séquences du buku « sorciers, services et crapuleux » ?
Problème ezali te, cliquez sur : http://sosecra.blogspot.be/








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire